Droits de douane : 15 % de tarifs et une gifle aux principes économiques
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“Quand on s’attend à un ouragan, on se réjouit d’une simple tempête."
C’est ainsi que plusieurs industriels allemands ont réagi à l’accord conclu le 27 juillet 2025 entre Donald Trump et Ursula von der Leyen. Prévu pour éviter une escalade commerciale, cet accord fixe un tarif uniforme de 15 % sur la majorité des exportations européennes vers les États-Unis. Mais derrière l’apparente désescalade se cache un contresens théorique doublé d’un coût économique réel. La science économique offre, à cet égard, un éclairage bien plus nuancé.
Tarif optimal et tarif uniforme
La théorie économique admet qu’une grande économie peut, sous certaines conditions, améliorer ses termes de l’échange en imposant des droits de douane. Ce principe, connu sous le nom de tarif optimal, a été formalisé dès les années 1940. Il établit que le niveau optimal de tarif dépend de l’élasticité de l’offre étrangère : plus celle-ci est faible, plus un tarif peut profiter au pays importateur. Mais cet enseignement ne justifie en rien un taux uniforme de 15 % appliqué indistinctement à tous les secteurs. Les modèles contemporains, notamment ceux de Beshkar et Lashkaripour (2020), montrent que l’efficacité d’un tarif dépend précisément de la structure de chaque secteur : élasticité, substituabilité, niveau de concurrence, intégration dans les chaînes de valeur mondiales.
Une approche éloignée des standards académiques
Appliquer un tarif identique à l’ensemble des importations revient à supposer une homogénéité des structures de marché que démentent les faits. Les travaux de Hatta et Ogawa (2003) démontrent que les tarifs uniformes ne sont justifiés que dans des cas très spécifiques. En ignorant ces différences, la politique actuelle s’éloigne de toute base économique rigoureuse. De plus, une telle politique suppose une coordination parfaite entre objectifs commerciaux, industriels et budgétaires. Cette coordination paraît d’autant moins probable qu’aucune évaluation sectorielle publique n’a accompagné la décision américaine.
Les conséquences économiques réelles : et s’il n’y avait que des perdants ?
Les droits de douane instaurés entre 2018 et 2019 ont été largement analysés par la recherche. Le constat est sans appel : pas d’amélioration des termes de l’échange, mais hausse des prix à la consommation, baisse de la productivité manufacturière, et perte nette de PIB. Le consensus empirique est clair : les coûts des tarifs ont été quasiment entièrement répercutés sur les consommateurs américains. Et contrairement aux ambitions affichées, l’emploi industriel n’a pas été durablement redynamisé.
Ce que disent les économistes
En 2018, plus de 900 économistes américains, dont plusieurs prix Nobel, ont signé une déclaration dénonçant les hausses de tarifs comme étant “mal orientées” et susceptibles de provoquer une “récession auto-infligée”. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, résume ainsi ce consensu : “Pratiquement tous les économistes pensent que l’impact des tarifs sera très négatif pour l’Amérique et le monde.” L’Institute Peterson a également souligné que ces politiques “tendent à affaiblir l’industrie en réduisant l’efficacité de la production par rapport aux autres pays”. En somme, la communauté académique est quasi unanime : les droits de douane appliqués de manière indiscriminée pénalisent l’économie domestique ainsi que les partenaires visés.
Une victoire politique, une défaite économique
Sur le plan politique, Donald Trump a sans doute obtenu ce qu’il recherchait : un symbole de fermeté commerciale et la promesse de relocalisations partielles. Mais le coût économique à moyen terme risque d’être lourd, tant pour les États-Unis que pour leurs partenaires. L’accord du 27 juillet illustre le décalage croissant entre les logiques politiques immédiates et les fondements de l’économie internationale. Une politique commerciale efficace ne peut se résumer à une hausse uniforme des tarifs : elle requiert des instruments ciblés, des diagnostics sectoriels précis, et une coordination multilatérale. Autant d’éléments absents de l’accord en question.