Surqualification : en France, le diplôme ne suffit plus.
Photographer: Cyril Marcilhacy/Bloomberg
De quoi on parle ?
En France, les jeunes diplômés accèdent plus facilement à l’emploi qu’il y a dix ans. Mais sous cette façade d’insertion rapide se cache une réalité plus trouble : la surqualification. Autrement dit, des diplômés contraints d’occuper des postes bien en deçà de leur niveau de formation. Le phénomène n’est plus marginal : il s’ancre dans les trajectoires professionnelles et fragilise le modèle académique français.
Une insertion rapide mais déclassée
Selon la Conférence des Grandes Écoles, 85,8 % des diplômés 2023 ont trouvé un emploi dans les six mois suivant l’obtention de leur diplôme. Un chiffre impressionnant… jusqu’à ce qu’on regarde de plus près : 32 % d’entre eux ont dû accepter un poste inférieur à leur niveau de qualification. Une forme de stratégie pour « mettre un pied » dans le monde du travail, mais qui tend à se normaliser.
Et ce déclassement ne disparaît pas une fois la carrière lancée. En 2024, seuls 68 % des actifs occupent un poste réellement adapté à leur diplôme. 19 % sont surqualifiés, 13 % sous-qualifiés. Le désajustement est devenu systémique.
Un marché du travail à deux vitesses
L’écart entre filières est net. Ingénierie, numérique, santé : ces secteurs offrent une bonne adéquation entre diplôme et emploi. En cybersécurité, 88 % des diplômés sont en poste à leur niveau. À l’opposé, les masters généralistes, les sciences humaines et sociales, ou encore le droit, affichent des taux de déclassement élevés, parfois au-delà de 60 %.
Les profils internationaux sans réseau professionnel local sont aussi fortement exposés, tout comme ceux qui ne trouvent pas d’opportunité dans leur région, notamment hors d’Île-de-France, où se concentre 42 % des emplois qualifiés pour seulement 28 % des diplômés.
Des diplômes, mais peu de débouchés
Trois facteurs structurent le problème. D’abord, une suraccumulation académique : la France compte 1,25 million d’ingénieurs pour seulement 150 000 recrutements par an. Ensuite, une offre d’emploi qualifié ultra-concentrée : 74 % des postes se trouvent dans cinq secteurs. Enfin, une hiérarchie persistante entre grandes écoles et universités, qui favorise certains parcours au détriment d’autres à niveau égal.
Le diplôme continue toutefois de protéger. Un bac+5 offre 37 % de salaire en plus qu’un bac+2, et le taux de chômage des ingénieurs reste très bas (2,6 % contre 13,3 % chez les non-diplômés). Mais cette prime s’use : 58 % des offres de management demandent désormais un bac+5, même pour des missions opérationnelles, et 41 % des recruteurs affirment accorder plus de poids aux soft skills qu’aux diplômes eux-mêmes.
Pour finir.
Le diplôme reste une référence, mais il ne suffit plus. La France a misé sur l’accumulation académique comme stratégie de protection sociale. Elle se heurte désormais à une saturation du marché qui génère déclassement, frustration et perte d’efficacité économique.
Revaloriser les compétences réelles, mieux articuler formation et besoins économiques, et alléger la pression du diplôme unique : voilà les pistes d’un système à repenser. Parce qu’aujourd’hui, le vrai déclassement, c’est celui du lien entre études et emploi.
Jules T.