Un nouveau modèle économique pour sauver nos démocraties : notre rencontre avec Joseph Stiglitz
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De quoi on parle ?
L’économiste Joseph Stiglitz, prix Nobel et ancien chef économiste de la Banque mondiale, a présenté sa vision d’une « bonne société » lors de la conférence The Road to Freedom : Economics and the Good Society. Son constat est sévère : le capitalisme néolibéral, dominant depuis quarante ans, ne maximise ni le bien-être collectif ni la liberté réelle des individus. Il génère instabilité, inégalités et exploitation. Pour Stiglitz, il est temps de passer à un « capitalisme progressiste », où le marché est encadré par des règles, complété par l’action collective et orienté vers l’intérêt général.
Pourquoi c’est important ?
Selon Stiglitz, les crises financières, la montée en puissance des monopoles numériques ou encore les menaces environnementales ne sont pas des anomalies mais la conséquence logique de marchés laissés à eux-mêmes. La véritable liberté n’est pas l’absence de règles, mais la possibilité de vivre à l’abri de la violence, de la pollution et de l’arbitraire économique, avec des opportunités élargies pour chacun. Cela suppose des institutions solides, des régulations adaptées et une fiscalité qui serve le bien commun.
La régulation comme condition de la liberté
Stiglitz a rappelé que l’absence de règles financières avait mené à la crise de 2008, ou que la concentration excessive des géants du numérique faussait aujourd’hui la concurrence et limitait les choix des consommateurs. Stiglitz a également insisté sur le cas du port d’armes aux États-Unis. La liberté revendiquée par certains de posséder un fusil d’assaut réduit en réalité la liberté des parents et des enfants de vivre en sécurité. Un message qui résonne à la fois économiquement et socialement, dans un pays où l’on déplore aujourd’hui presque une tuerie de masse par semaine. Pour lui, certaines contraintes sont au contraire libératrices : feux rouges dans une ville, taxation environnementale ou normes sanitaires. Elles organisent la vie collective et rendent possible la liberté réelle de tous. La liberté de polluer ou de spéculer ne doit pas se traduire en privation de liberté pour les autres.
Les dérives du capitalisme américain
Le prix Nobel a pointé des exemples frappants des dérives du capitalisme contemporain. Trump University, université privée accusée d’avoir trompé ses étudiants, illustre selon lui l’exploitation permise par un marché sans contrôle. Les prisons privées ou les maisons de retraite gérées par des fonds spéculatifs, où l’on réduit les coûts en sacrifiant formation, soins ou alimentation, incarnent une logique où le profit passe avant la dignité. Pour Stiglitz, ce type de capitalisme engendre des inégalités insoutenables et porte en lui les germes de sa propre destruction. En encourageant des comportements purement individualistes, il érode la confiance sociale qui constitue pourtant le socle même de toute activité économique.
Pour une société plus équilibrée
La solution n’est pas de supprimer le marché, mais de le replacer dans un cadre démocratique. Stiglitz plaide pour une fiscalité mieux pensée, incluant taxes sur les monopoles, sur les grandes fortunes et sur les externalités environnementales négatives. Il défend la mise en place de nouveaux indicateurs de prospérité, allant au-delà du PIB pour mesurer réellement le bien-être et la soutenabilité. Il appelle aussi à renforcer un écosystème institutionnel diversifié : coopératives, ONG, médias indépendants, universités libres. Pour lui, la prospérité durable ne peut venir que d’un équilibre entre marché, État et société civile.
Pour finir.
Stiglitz avertit que le capitalisme néolibéral est économiquement, socialement et écologiquement insoutenable. La question n’est pas de savoir s’il faut le réformer, mais comment et à quelle vitesse. Le choix est donc clair : subir ses dérives ou inventer un capitalisme progressiste capable de concilier efficacité économique, justice sociale et démocratie. La liberté ne se mesure pas au nombre de contraintes levées mais à la qualité de vie et aux opportunités que la société offre réellement à ses citoyens.